Repenser le phosphate… Repenser l’environnement

 

 

Introduction Générale

 

Généralement, le traitement de la question des phosphates en Tunisie se limite à l’aspect économique : le phosphate est considéré comme une richesse naturelle majeure qui appuie l’économie nationale. Cependant, le modèle d’extraction des phosphates soulève aussi de nombreux points critiques qui ont longtemps été marginalisés et restent peu connus et analysés.

 

En effet, l’histoire des phosphates en Tunisie porte une dualité assez contradictoire. On peut la présenter comme suit : créateur de vie – créateur de déclin. Une telle contradiction nous invite à une réflexion profonde. D’une part, c’est la découverte des phosphates qui a donné vie à l’ensemble des villes du bassin minier et d’autre part c’est l’extraction des phosphates qui accélère le déclin d’autres aspects de la vie dans cette région.

 

Si les potentialités économiques du secteur minier des phosphates sont reconnues et valorisées soit de la part des pouvoirs publics soit de la part des populations, on remarque par ailleurs l’inexistence ou le grand manque de documentation, d’études qualitatives et statistiques présentant l’autre facette de l’industrie des phosphates, à savoir ses impacts environnementaux.

 

Le présent article constitue une initiative parmi d’autres, bien qu’elles ne soient pas nombreuses, de creuser en profondeur les problématiques environnementales engendrées par les activités d’extraction des phosphates dans la région du bassin minier tunisien.

 

Le défi consiste à promouvoir une nouvelle conscience environnementale à travers la présentation de l’ensemble des dégâts environnementaux engendrés par le modèle d’extraction et qui touchent de façon directe au futur vital des populations du bassin minier.

 

Nous avons fait le choix de prendre en compte les aspects historiques, sociaux et économiques de la question, afin de garder une certaine pertinence par rapport au contexte existant dans le bassin minier où la relation à l’industrie du phosphate est synonyme d’une appartenance identitaire et sociale, l’aspect l’environnemental étant souvent négligé.


 

 

Diagnostic de l’infrastructure socioéconomique dans le bassin minier

 

Le secteur minier : le monopole économique du bassin minier

 

Le traitement du sujet des phosphates en Tunisie ne peut pas seulement se limiter à son aspect économique. Il nous semble pertinent d’introduire des éléments de contexte destinés à souligner les liens étroits que l’histoire de l’industrie du phosphate entretient avec celle du pays.

 

Les gisements de phosphate du Bassin minier ont été découverts pour la première fois en 1883 dans la région de Thelja à Metlaoui. Des recherches approfondies concluent ensuite à la possibilité de son extraction autour de Redeyef, Moulares, Metlaoui et Mdhilla en 1885. Cette découverte a eu pour conséquence l’essor du bassin minier ainsi que la constitution de ces quatre villes, qui seront par la suite occupées par diverses populations souhaitant s’établir en tant qu’ouvriers de la compagnie Sfax-Gafsa, fondée en 1897.

 

En outre, la région du bassin minier est considérée comme étant l’espace géographique en Tunisie qui a connu la première concentration de capitaux importante, à travers l’investissement dans l’extraction des phosphates, ce qui a contribué à l’émergence d’une nouvelle classe ouvrière, composée généralement d’anciens agriculteurs et peuples nomades.

 

En somme, la découverte des phosphates dans la région a été synonyme de grandes mutations socioéconomiques et culturelles qui se sont traduites d’une part par la mise en place d’activités extractives et industrielles comme principal pilier économique, et d’autre part par un changement du mode de vie de la population locale, qui quitte le statut d’agriculteur et de nomade pour adopter le statut d’ouvrier minier.

 

 

Caractéristiques de la qualité des phosphates de Gafsa :

 

Selon le site de la Compagnie des phosphates de Gafsa, la géologie des phosphates de Gafsa est décrite comme suit : « Le phosphate Naturel de GAFSA, appelé aussi Phosphate Réactif de GAFSA ou GAFSA tout court, est un minerai de phosphate extrait par la CPG dans des gisements sédimentaires d’origine marine. Leur origine géologique remonte à environ 50 millions d’années. Leur formation s’est faite sur des dépôts sédimentaires formés en milieu marin peu profond. Les gisements en exploitation sont le résultat d’un processus géologique naturel et progressif impliquant la précipitation biologique et la sédimentation de phosphate avec des restes fossilisés sur fond marin. La plupart des impuretés minérales et organiques qui accompagnent le minerai phosphaté brut sont éliminées durant le processus d’enrichissement. Les techniques les plus employées par CPG sont le lavage et la flottation ».1

 

Par ailleurs, le phosphate de Gafsa est considéré comme fertilisant naturel ; à ce propos, le site mentionne : « Le phosphate de GAFSA est un engrais naturel efficace, riche en phosphore, en calcium et autres éléments nutritifs essentiels indispensables à la croissance et au développement des plantes et des animaux. Il se distingue par un pouvoir de dissolution élevé dans le sol procurant aux jeunes plantes un approvisionnement immédiat en phosphore assimilable. Il possède aussi l’avantage de l'effet résiduel à long terme. À la différence des phosphates non réactifs qui peuvent présenter des teneurs élevées en CaO mais basses en Calcium (Ca) bio-disponible, le phosphate réactif de Gafsa avec une teneur en CaO de 45 à 50%, constitue une source non négligeable de Calcium utile tant pour la nutrition minérale que pour l’amendement.

 

Depuis le début du 20ème siècle, le phosphate de Gafsa a suscité un intérêt considérable de la part des chercheurs du monde entier. Ses qualités et ses avantages agronomiques sont mondialement reconnus et il est largement recommandé comme fertilisant phosphaté efficace en application directe pour diverses cultures ».2

 

 

Extraction – Production

 

Vers le début des années 2000, la Compagnie des phosphates de Gafsa a décidé d’abandonner l’exploitation souterraine, justifiant son choix par la volonté de compresser les coûts de production d’une part, et d’autre part de minimiser les accidents de travail (à savoir que le dernier accident s’est produit dans la mine de Redeyef en 2001).

 

La technique d’extraction utilisée aujourd’hui par la Compagnie des phosphates de Gafsa est celle de l’abattage à explosif dans des mines à ciel ouvert. Le processus d’extraction des phosphates, qui consiste en des activités de forage, chargement et transport, est assuré par le biais de moyens techniques et d’outils très avancés, tels que la foreuse rotative 170 mm, dumper 170 Tonnes et la pelle hydraulique 29 m3.

 

En 2010, le pic de production de phosphate marchand atteint par la Compagnie des phosphates de Gafsa était estimé à 13,227 millions de tonnes. Cependant, à partir de 2011, on assiste à une chute de la production du phosphate marchand, conséquence du déclenchement des mouvements de protestation sociale de la révolution du 17 décembre-14 janvier. Le tableau suivant retrace l’évolution de la production du phosphate marchand :

 

Année

2008

2009

2010

2011

2012

2013

2014

Production en Million de Tonnes

7.539

7.216

8.107

2.281

2.602

3.074

3.793

Source : Rapports annuels de la compagnie des phosphates de Gafsa

 

 

En 2016, la situation est toujours similaire quant à la production du phosphate marchand, qui connait un état de blocage total sur les deux mines de Redeyef et Moulares durant les mois de Juillet et Août. Metlaoui rejoint aussi les mouvements de protestation et on assiste là encore à un blocage total de la production.

 

Le dysfonctionnement des activités de production de la compagnie des phosphates de Gafsa durant la période postrévolutionnaire (2011-2016) s’est traduit par un grand recul de son chiffre d’affaire, dont les pertes se sont estimées à 5 millions de dinars4 durant cette période.

 

Malgré cette situation, la Compagnie des phosphates de Gafsa demeure toujours le principal employeur de la région du bassin minier avec un effectif total de 66825 agents en décembre 2015. De plus, les niveaux de salaires offerts par la compagnie sont particulièrement élevés ; la masse salariale était de 307.7 millions de dinars en 2009, ce qui équivaut à un salaire annuel moyen par agent de 25 953 dinars en 20096, jugé parmi les salaires les plus élevés à l’échelle nationale.

 

C’est l’importance du niveau des salaires offerts par la compagnie des phosphates de Gafsa qui a causé la mise en place d’un état de dépendance économique et culturelle de la population locale vis-à-vis de cette compagnie, ce qui a renforcé l’unicité du modèle de développement appliqué dans la région, qui s’articule de façon majoritaire autour du monopole de la Compagnie des phosphates de Gafsa. De plus, et tenant compte de l’importance des réserves naturelles en phosphates dans la région estimées à 668 Millions de Tonnes7, la dépendance accrue à la compagnie des phosphates de Gafsa soit davantage justifiée, tout en constituant une réelle alternative à l’ensemble des problématiques socioéconomiques de la région et notamment celle du chômage.

 

Outre les postes d’emplois directs assurés par la Compagnie des Phosphates de Gafsa (CPG), on note que cette dernière assure aussi la création d’emploi indirects à travers le dispositif des Sociétés de Protection de l’Environnement et de Plantation (SEP) et de la Société Tunisienne de Transport des Produits Miniers (STTPM) et qui sont majoritairement dépendantes financièrement de la Compagnie des Phosphates de Gafsa.

 

En effet, ces sociétés ont été sujettes à une intégration directe au sein de la société mère, à savoir la Compagnie des Phosphates de Gafsa, afin de dépasser leurs statuts de sous-traitance et rendre leurs cadres de fonctionnement plus adaptés aux législations du code de travail.

 

En ce qui concerne les Sociétés de Protection de l’Environnement et de Plantation, leur effectif est estimé à 54398 en 2015 sur toutes les délégations du bassin minier à savoir Redeyef, Moulares, Metlaoui et Mdhilla.

 

Pour ce qui est de la Société Tunisienne de Transport des Produits Miniers, son effectif est estimé à 16009 en 2015.

 

En somme le nombre de postes d’emploi créés de façon directe et indirecte de la part de la compagnie des phosphates de Gafsa dans la région du bassin minier est estimé à 13721 comme le montre le tableau suivant :

 

Société Employeur

Compagnie des Phosphates de Gafsa

Société de Protection de l’Environnement et de Plantation

Société Tunisienne de Transport des Produits Miniers

Total

Nombre d’emplois existants en 2015

6682

5439

1600

13721

 

 

Afin de retracer le niveau de dépendance de la population du bassin minier envers la compagnie des phosphates de Gafsa, nous allons opter pour un scénario dans lequel nous allons considérer que chaque poste d’emploi créé sert à satisfaire les besoins vitaux d’un ménage. Dans cette logique, le nombre de ménages dépendants de la compagnie des phosphates de Gafsa dans la région du bassin minier est estimé à 13721 en 2015.

 

D’autre part, selon le recensement de la population réalisé en 2014, le nombre total de ménages de la région du bassin minier est retracé dans le tableau suivant :

 

Délégation

Moulares

Redeyef

Metlaoui

Mdhilla

Total

Nombre de ménages en 2014

6207

6017

8889

3260

24373

 

 

En somme, par un simple calcul, le taux de dépendance économique et financière des ménages de la région du bassin minier via l’activité de la compagnie des phosphates de Gafsa serait de 56.29%. Ainsi, plus de la moitié de la population du bassin minier est généralement dépendante économiquement de la compagnie des phosphates de Gafsa. Ceci prouve bien l’importance du monopole économique de la Compagnie des Phosphates de Gafsa en termes de création d’emplois dans la zone du bassin minier.

 

Reste à mentionner que nous n’avons pas pris en considération les effectifs des retraités de la Compagnie des Phosphates de Gafsa, et qui sont des milliers, compte tenu de leur affiliation à la Caisse Nationale de Sécurité Sociale (CNSS) comme étant la tutelle assurant la prestation de leurs pensions de retraite.

 

 

Le secteur agricole : Un potentiel marginalisé

 

Nonobstant la domination de l’activité minière dans la région du bassin minier, on note également une présence de l’activité agricole compte tenu de l’ensemble des ressources naturelles disponibles dans la région. En outre, malgré toutes les transformations socioéconomiques engendrées par le monopole du secteur minier, qui a renforcé davantage l’identité minière, on observe la persistance de l’ancrage et de l’attachement à l’activité agricole, notamment chez les ouvriers et les retraités de la compagnie des phosphates de Gafsa qui exercent encore cette activité dans leurs propriétés agricoles.

 

Cependant, la vitalité du secteur agricole dans la région du bassin minier est contrainte en grande partie par la disponibilité des ressources naturelles, notamment des ressources en eau, compte tenu de la nature du climat de la région généralement semi-aride.

 

Selon les publications du Commissariat régional de développement agricole (CRDA) de Gafsa, les estimations sur les ressources naturelles en eau sont comme suit : les ressources disponibles en eau sont estimées à 210.8 millions de m³ réparties entre 128.4m³ d’eau souterraine, 80 millions de m³ d’eaux de ruissellement et 2.4 millions de m³ d’eaux usées10. La nappe phréatique présente dans le bassin minier, notamment à Redeyef et Moulares, a une profondeur de 2 à 35 mètres ; son degré de salinité est de 2 à 10 grammes par litre, les ressources disponibles sont de 2.70 millions de m³ et le nombre de puits est estimé à 1049. Pour ce qui est de la nappe profonde, elle est caractérisée par une profondeur de 3 à 50 mètres, un degré de salinité de 1.5 à 3 grammes par litre ; les ressources disponibles sont de 7.3 millions de m³ et le nombre de puits est estimé à 1111.

 

En somme, les ressources naturelles en eaux disponibles dans la région de Gafsa et notamment dans le bassin minier sont considérées comme suffisantes pour maintenir l’activité agricole et assurer son développement comme étant une alternative possible à la domination économique de la Compagnie des phosphates de Gafsa dans la région.

 

D’autre part, la situation foncière des terres demeure parmi les principaux défis dans la région du bassin minier et constitue un vrai blocage au développement de l’activité agricole compte tenu de l’emprise du caractère domanial et collectif des terres agricoles dans la région. Le tableau12 suivant retrace bien la nature de la situation foncière des terres dans les délégations du bassin minier :

 

Délégation

Terres privées en hectares

Terres collectives en hectares

Terres domaniales en hectares

Total en hectares

Moulares

0

52005

41080

93085

Redeyef

0

24175

22138

46313

Metlaoui

41

64987

37665

102683

Mdhilla

0

45536

17910

63446

 

 

Les terres domaniales détenues par l’Etat sous la tutelle de l’Office des terres domaniales (OTD) ne sont pas valorisées en matière d’exploitation ainsi que dans leur orientation vers la création d’une diversité d’activités économiques dépassant le monopole des phosphates et qui servirait à un meilleur développement de l’activité agricole dans la région. Les importantes potentialités des terres domaniales dans le bassin minier, qui dépassent les 100 000 hectares, représentent un vrai potentiel de développement économique pour la région mais souffrent toujours de l’absence des stratégies publiques, notamment de la part de l’Office des Terres Domaniales (OTD) et du Ministère de l’Agriculture et des Ressources Hydrauliques (MARH), en ce qui concerne la définition des mécanismes leur permettant une meilleure intégration dans l’activité économique. Appuyer le secteur agricole permettrait de créer des alternatives possibles à l’ensemble des problématiques socioéconomiques dont souffre la région, et apporterait des réponses au chômage qui représente un des défis majeurs.

 

Une problématique semblable à celle des terres domaniales se pose au niveau des terres collectives, en ce qui concerne l’importance de leurs potentialités socioéconomiques et leur non valorisation dans le processus de développement de la région du bassin minier. En effet, les terres collectives sont définies comme suit : « Traditionnellement ces terres étaient utilisées collectivement et étaient la propriété des tribus ou de collectivités ethniques. Depuis les années 60, la privatisation des terres collectives en a considérablement réduit la superficie. Ces terres couvraient à l’origine près de 3 millions d’hectares de terres collectives dont près de la moitié est consacrée aux parcours et 1.350 million d’hectares ont été attribués au titre de propriété privée. La tutelle de l’Etat sur les terres collectives est exercée sous l’autorité du Ministère de l’Agriculture par le conseil de tutelle locale (au niveau de chaque délégation), le conseil de tutelle régional (au niveau de chaque gouvernorat) et le gouverneur. »13

 

Parmi les facteurs qui bloquent une meilleure exploitation de ces terres, on peut distinguer la complexité de la propriété de ces terres, généralement un sujet de conflit entre les membres d’une même tribu, ce qui affecte négativement leur exploitation et leur valorisation économique. De plus, on note la faiblesse de l’intervention étatique en matière de promulgation des nouveaux dispositifs afin de résoudre les conflits de propriété et des définitions de nouveaux mécanismes favorisant l’exploitation collective de ces terres. Enfin, on mentionne le dépôt d’un projet de loi sur la privatisation des terres collectives le 25 février 2016, qui aura pour objectif l’octroi des lopins de terre en propriété privée dans les gouvernorats de Gabes, Tataouine et Gafsa, et dont les conséquences sont encore difficiles à estimer.

 

En dépit des difficultés existantes au niveau de la situation foncière des terres agricoles dans la région du bassin minier, certaines activités agricoles y sont bien implantées, ce qui valide l’hypothèse de l’importance des potentialités agricoles ainsi que des possibilités de leurs effets sur le développement socio-économique de la région. A titre d’exemple, la surface globale dans le bassin minier occupée par l’arboriculture est estimée à 600 hectares ce qui représente à peu près 25% de la surface globale du gouvernorat de Gafsa dédiée à ce genre de plantation14. De plus, la région du bassin minier accapare 50% des périmètres irrigués publics du gouvernorat de Gafsa, 50% des périmètres irrigués complémentaires et 22% des périmètres irrigués privés15. Enfin, il importe de mentionner que la région du bassin minier est producteur principal de certains produits agricoles dans le gouvernorat de Gafsa, notamment les dattes, avec un pourcentage de 50%16 dans la production globale du gouvernorat, ainsi qu’au niveau de la production laitière estimée à 35.77% de la production totale du gouvernorat17.

 

En ce qui concerne les investissements agricoles réalisés dans la région du bassin en 2015, ils sont généralement considérés comme faibles par rapport au total des investissements du gouvernorat de Gafsa. Les investissements agricoles dans la région du bassin minier sont répartis comme suit ; 44 projets approuvés sur un total de 280 projets avec un investissement total de 4.503 millions de dinars sur un total de 35.483 millions de dinars et avec une capacité de création de 47 postes d’emploi sur un total de 389 postes d’emploi18. De manière effective, seuls 13 projets agricoles sont réellement réalisés dans la région du bassin minier sur un total de 100 projets avec un investissement de 1.459 millions de dinars sur un total de 11.480 millions de dinars et avec une capacité de création de 11 postes d’emploi sur un total de 80 postes d’emploi.

 

Le choix de présenter le diagnostic socioéconomique de la région du bassin minier en s’appuyant sur la dualité industrie des phosphates et secteur agricole résulte d’une tentative de réflexion selon laquelle on peut repenser le modèle de développement mis en place, de façon à ce qu’il ne repose plus uniquement sur le secteur minier comme étant son pilier principal. Ce constat est vérifié par l’ensemble des éléments que nous avons passés en revue et qui illustrent bien l’importance des potentialités agricoles dans la région, ainsi que les possibilités de développement de ce secteur.

 

Mais ce choix pose un questionnement central, qui s’articule autour des possibilités de maintenir une certaine durabilité socioéconomique et environnementale dans la région du bassin minier, qui permettrait d’envisager les possibilités d’une future vie saine et durable.

 

Afin de mieux comprendre la nature de l’actuelle conjoncture socioéconomique et environnementale dans le bassin minier, il est impératif d’identifier les grandes mutations socioéconomiques et environnementales engendrées essentiellement par la Compagnie des phosphates de Gafsa. En effet, il s’agit de questionner le positionnement de la Compagnie de phosphates de Gafsa comme acteur principal de la dynamique sociétale existante dans le bassin minier. Si, avec la découverte des phosphate et l’avènement des villes minières, la Compagnie a été synonyme de vie et de création d’opportunité économiques, les dégâts causés par son activité d’extraction lui ont aussi conféré la responsabilité de désastres.

 

 

Compagnie des phosphates de Gafsa : De la compagnie Providence à la compagnie Désengagée

 

Le dysfonctionnement du processus de développement socioéconomique dans la région du bassin minier est lié en grande partie au fait que la Compagnie des phosphates de Gafsa est le principal acteur économique et social de cette région. En outre, la Compagnie des phosphates de Gafsa a endossé le rôle de l’Etat depuis son installation il y a plus d’un siècle. La situation en matière de développement, jugée généralement insuffisante, dépend plus de la santé économique de la Compagnie des phosphates de Gafsa que des politiques publiques de développement. 

 

Depuis ses débuts, la Compagnie des phosphates de Gafsa a été le principal employeur de la population locale, et a attiré, au-delà, des populations d’autres régions telles que Bizerte, le Nord-Ouest et le Sud-est, jusqu’à devenir, plus tard, un lieu d’attraction de main d’œuvre maghrébine (Marocains, Algériens et Libyens). Le positionnement de la Compagnie des phosphates de Gafsa a été central, en termes de création d’emploi, à travers toutes les époques historiques, durant l’ère coloniale, dans le processus de création de l’Etat moderne en 1956 et jusqu’à aujourd’hui. Ceci s’est traduit essentiellement par l’importance des postes d’emploi créés par la compagnie des phosphates de Gafsa en l’absence presque totale de l’organe de l’Etat, colonial comme national. En effet, le nombre de postes d’emploi occupées au sein de la compagnie des phosphates de Gafsa était de 7310 en 1956, de 8834 en 1965 et jusqu’à 10984 en 1975.19 C’est ainsi que la Compagnie des phosphates de Gafsa demeure depuis longtemps le principal pôle de création d’emploi de la région, et que la dépendance économique de l’ensemble des populations locales et régionales à cette compagnie peut se comprendre dans la mesure où cette compagnie constitue une réelle perspective de survie.

 

En outre, on note que la majorité des lignes de chemins de fer actuelles, exploitées par la Société nationale des chemins de fer tunisiens (SNCFT), ont été fondées par la Compagnie des phosphates de Gafsa grâce à d’importantes ressources financières provenant des activités extractives de phosphate, ceci afin d’assurer le transport de phosphate vers les régions côtières en vue de son exportation20. La Compagnie a aussi réalisé des investissements non négligeables dans les activités agricoles telles que la plantation des oliviers (Henchir Chaal dans la région de Sfax, considérée comme l’une des grandes fermes d’oliviers à l’échelle nationale) ainsi que la création des fermes agricoles dans les régions du Nord-Ouest et dont les ouvriers de la compagnie bénéficient de parts de la production chaque fin d’année21.

 

A part son rôle économique en tant que principal employeur de la région, la compagnie des phosphates de Gafsa a joué un rôle primordial dans l’organisation sociale, à travers la prestation de différents services au profit de ses ouvriers comme de toute la population du bassin minier. En effet, jusqu’au début des années 1980, la compagnie des phosphates de Gafsa assure un certain nombre de services tels que la gratuité de l’eau potable et de l’électricité, les infrastructures de santé, les espaces commerciaux, la gratuité du transport jusqu’à la ville de Sfax, le soutien financier et logistique aux associations sportives et culturelles et enfin l’appui matériel aux élèves et aux étudiants fils de mineurs.

 

En conséquence, l’engagement sociétal de la compagnie des phosphates de Gafsa dans le développement social et économique de la région a renforcé l’émergence d’une conviction collective qui a assimilé la Compagnie à l’Etat en ce qui concerne les responsabilités socioéconomiques. C’est ainsi que la mémoire collective et historique de la population du bassin minier a toujours considéré la compagnie des phosphates de Gafsa comme ‘’la compagnie Etat’’.

 

Cependant, à partir de 1986, on assiste à un changement radical du positionnement de la Compagnie des phosphates de Gafsa. La Compagnie cesse alors d’assurer ses fonctions sociales au profit d’une vision purement économiste basée sur la logique de rentabilité, ce qui s’explique par la soumission de la compagnie des phosphates de Gafsa à l’ensemble des nouvelles orientations socioéconomiques retenues par les pouvoirs publics de l’époque.

 

La CPG a ainsi fait l’objet de profondes réformes destinées à contribuer à rétablir l’équilibre financier de l’Etat.

 

Ces réformes sont à replacer dans un contexte où la Tunisie venait d’adopter le programme d’ajustement structurel (PAS) en 1986 suite à un crédit conditionné par l’application des réformes sociales et économiques de la part du Fond Monétaire International (FMI). Le fonds du programme d’ajustement structurel consistait en une meilleure allocation des ressources ainsi qu’une révision des politiques sociales publiques au profit d’un meilleur positionnement du secteur privé dans l’activité économique. La Compagnie était directement concernée, ce qui est l’a conduit à mettre un frein sur ses engagements socio-économiques, traduisant un passage d‘une ‘’compagnie providence’’ à une ‘’compagnie désengagée’’.

 

Les réformes socioéconomiques appliquées suite à l’accord du programme d’ajustement structurel ont visé une nouvelle restructuration des entreprises publiques dans la perspective de leur assurer davantage d’efficacité économique au détriment de leurs interventions sociales.

 

On note que durant cette époque, et par soucis d’appliquer les grandes réformes conditionnées, la Compagnie des Phosphates de Gafsa s’est engagée dans un processus de réformes internes et externes, de façon à ce qu’elle n’assure plus ses fonctions classiques à savoir son potentiel de création d’emploi en tant que principal acteur économique de la région et a provoqué le recul de ses actions sociales.

 

A ce niveau, on note que la compagnie des phosphates de Gafsa a fait recours à la technique de la retraite anticipée et 5000 ouvriers sont partis à la retraite durant la période 1986-199122. Le recours à la logique de la retraite anticipée servait à agir sur les coûts de production en réduisant la masse salariale sous prétexte des contraintes de compétitivité internationale dans le domaine des phosphates. De plus, en une vingtaine d’années, le nombre du personnel de la compagnie des phosphates de Gafsa a diminué de plus de 50% en passant de 14259 en 1984 à 6223 en 200423.

 

Non seulement les effectifs de la compagnie des phosphates de Gafsa ont diminué mais la composition des effectifs de la compagnie a changé, de façon à ce que la catégorie des ouvriers soit la plus endommagée : le nombre des ouvriers est passé de 9547 en 1984 à 1343 en 2004 au profit des effectifs des cadres, qui se sont multipliés, de 1701 en 1975 à 4110 en 200424.

 

En conséquence, tout en tenant compte de la nouvelle politique d’emploi mise en place par la compagnie des phosphates de Gafsa, on peut affirmer que les retombées d’une telle démarche ont affecté toute l’infrastructure socioéconomique de la région, se traduisant notamment par l’augmentation des taux de chômage, qui, en 2007, ont atteint respectivement 38.5% à Moulares, 28.4% à Mdhilla et 26.7% à Redeyef25.

 

En conséquence de ces mutations du fonctionnement de la Compagnie et des réticences des pouvoirs publics à assurer les responsabilités sociales délaissées par la CPG, la situation en matière de développement s’est détériorée. Cependant, la compagnie des phosphates de Gafsa demeure toujours le principal acteur économique de la région et l’instance vers laquelle se dirigent la plupart des revendications sociales issues des dysfonctionnements de ce modèle de développement régional.

 

Le volet social, longtemps assuré par la compagnie, a donc connu de profondes réformes, pour ne pas dire un vrai désengagement. La réforme de l’axe social au sein de la compagnie des phosphates de Gafsa était partie intégrante du programme d’ajustement structurel, qui comportait un volet consacré à la diminution des charges sociales des entreprises publiques.

 

La réforme sociale au sein de la compagnie des phosphates de Gafsa a consisté en une marchandisation presque totale de l’ensemble des services sociaux qu’elle assurait depuis sa création, tels que la prestation gratuite des services d’eau potable et d’électricité, suite à leur délégation aux entreprises publiques telles que la Société Nationale d’Exploitation et de Distribution des Eaux (SONED) et la Société Tunisienne d’Electricité et du Gaz (STEG). D’autre part, cette réforme a consisté en un désengagement des investissements dans les infrastructures de santé, d’éducation, de culture et de transport, ce qui a contribué à une dégradation accrue du niveau général de vie et à l’émergence d’un climat de malaise envers la Compagnie des phosphates de Gafsa.

 

Cette situation a favorisé l’émergence d’une conviction populaire remettant en cause la légitimité de la propriété locale et régionale des ressources naturelles en phosphates ainsi que de revendications visant à ce que la compagnie des phosphates de Gafsa reprenne ses fonctions sociétales envers la région du bassin minier.

 

 

Soulèvement populaire de 2008 : Primauté du socioéconomique sur l’environnemental

 

Le soulèvement populaire du bassin minier en 2008 est considéré comme l’un des grands événements de protestation sociale qui ont marqué l’histoire de cette région mais aussi l’histoire de la Tunisie moderne. En effet, la situation de sous-développement économique et social engendré par le désengagement étatique mais aussi de la part de la Compagnie des phosphates de Gafsa a conduit à une détérioration du niveau général de vie dans le bassin minier. Cette situation de sous-développement fut l’étincelle qui déclencha un mouvement social de protestation en janvier 2008 suite à la falsification des résultats du concours de recrutement au sein de la compagnie des phosphates de Gafsa.

 

En termes d’analyse, la situation est contradictoire. D’une part, on note une détérioration générale de plusieurs aspects du niveau de vie dans le bassin minier et dont les indicateurs de développement humain de l’époque font foi. D’autre part, il importe de mentionner que durant cette époque les chiffres d’affaires réalisés par la compagnie des phosphates de Gafsa avaient triplé, passant de 403 millions de dinars en 2007 à 1.42 milliards de dinars en 200826 suite à la quadruplication des prix des phosphates à l’échelle internationale. Face à une telle contradiction, un fort sentiment de malaise a émergé, qui est venu remette en cause l’injustice des pratiques de la Compagnie des phosphates de Gafsa ainsi que la nécessité d’opter pour une nouvelle approche de répartition plus équitable de la richesse qui aurait permis aux populations d’en bénéficier.

 

Les revendications du mouvement social du bassin minier en 2008 étaient axées principalement sur la dualité socioéconomique, c'est-à-dire autour des questions d’emploi, de développement local et régional, d’une meilleure répartition des richesses (une part des bénéfices de la CPG qui serait investie dans le développement de la région), du développement des infrastructures de la région et de l’amélioration des conditions générales de vie.

 

En tenant compte de l’importance organisationnelle du mouvement social du bassin minier en 2008, qui a regroupé les différentes délégations de la région et qui a duré 6 mois, la Compagnie des phosphates de Gafsa, sous la direction de l’ancien régime, a été dans l’obligation d’établir certaines réformes visant à répondre à l’ensemble des revendications exigées ainsi qu’à mettre fin à ce mouvement car la production des phosphates était interrompue durant cette période.

 

Les mesures socioéconomiques retenues par la compagnie des phosphates de Gafsa afin de garantir un climat de paix sociale se sont déclinées en une augmentation des postes d’emploi, notamment en réglant la situation des anciens accidentés par le recrutement d’un membre de leurs familles, ou encore par la mise en place des sociétés d’environnement (sous forme de sous-traitance), ce qui a permis la création des milliers de postes d’emploi, et en la création du Fond de Reconversion et de Développement des Centres Miniers, un outil favorisant l’investissement privé dans des projets économiques dans les régions minières.

 

Malgré l’importance des dispositifs mis en place par la Compagnie des phosphates de Gafsa en 2008 dans le but d’améliorer les conditions sociales et économiques de la région, la principale revendication, à savoir l’injection d’une part des bénéfices de la compagnie, estimée à 20%, dans le développement de la région n’a pas été retenue, ce qui a pu accentuer le degré de malaise populaire envers cette compagnie jusqu’à nos jours.

 

Le mouvement social du bassin minier de 2008 est d’une importance majeure. Il a donné lieu à un rapport conflictuel direct et franc entre la Compagnie des phosphates de Gafsa et les populations locales, engendrant un questionnement général sur la place de cette dernière dans l’économie régionale, ainsi qu’une remise en question des stratégies de développement mises en place depuis des décennies.

 

De plus, il a fait émerger la problématique environnementale suite à la dégradation des conditions générales de vie par l’activité extractive des phosphates. En effet, des revendications environnementales s’y sont exprimées, mettant en cause le rôle de la Compagnie des phosphates de Gafsa dans la dégradation environnementale de la région.

 

Il est certain que les revendications principales de ce mouvement social étaient socioéconomiques et qu’elles ont dominé les revendications environnementales. Si le volet environnemental était une revendication du mouvement, il n’a pas pris assez d’importance en termes de réflexion et d’action pour que la question d’un bassin minier sans phosphates puisse être débattue. Finalement la question environnementale s’est révélée être un simple instrument visant à améliorer le processus de négociation, que ce soit avec la compagnie ou avec le pouvoir politique, afin d’appuyer la légitimité des revendications et pousser ces derniers à opter pour davantage de mesures socioéconomiques, sous prétexte d’une compensation pour les dégradations environnementales dans la région.

 

L’explication de la faiblesse de la conscience environnementale dans la région du bassin minier peut reposer sur trois piliers, à savoir les difficultés socioéconomiques dans la région, le manque d’expertise et de connaissance du mouvement social sur les problématiques environnementales et le grand vide en termes de diagnostic réel de la situation environnementale dans le bassin minier (études, rapports, statistiques...).

 

Les difficultés socioéconomiques dans la région du bassin minier suite à l’abandon par la Compagnie des phosphates de Gafsa de ses fonctions régulatrices ont été un facteur déterminant dans le blocage de l’évolution de la conscience environnementale autour des effets directs et indirects de l’extraction des phosphates. En effet, dans un contexte comme celui-ci, les besoins socioéconomiques (emploi, développement, amélioration des conditions de vie) ont dominé les préoccupations environnementales sous prétexte de l’urgence vitale d’assurer des moyens de subsistance. De cette situation résulte la marginalisation de la thématique environnementale, avec une vision de la survie humaine conditionnée uniquement au facteur socioéconomique.

 

D’autre part, le manque de connaissance chez les leaders du mouvement social de 2008 en termes d’environnement a limité la possibilité que cette thématique devienne centrale dans les revendications du mouvement et au sein de la population de façon générale. En effet, ce qu’on peut retenir de ce mouvement, c’est ce que l’environnement a été utilisé comme instrument pour peser dans les négociations sur des aspects exclusivement socioéconomiques. D’ailleurs, la seule mesure qui a été entreprise au sujet de l’environnement consiste en la création ‘’des entreprises de protection de l’environnement’’, qui vise, selon la compagnie des phosphates de Gafsa, à assurer une meilleure protection de l’environnement et une minimisation des dégâts de l’extraction des phosphates alors que son rôle est toujours sujet à discussions, ce sur quoi nous reviendrons de manière plus détaillée dans le prochain paragraphe.

 

Enfin, très rares sont les travaux de recherche scientifique effectués dans le domaine de l’environnement notamment dans le secteur des phosphates, qi peut être considérée comme une cause parmi d’autres dans l’explication de la faiblesse de l’intérêt à l’environnement dans le bassin minier. En effet, si la dégradation environnementale du bassin minier se manifeste à travers plusieurs aspects concrets tels que la pollution de l’air et la mauvaise qualité d’eau, on remarque en contrepartie l’absence de recherches scientifiques mettant en cause la responsabilité de la Compagnie des phosphates de Gafsa, ce qui a rendu ce discours peu convaincant et injustifié.

 

 

Diagnostic des impacts des activités d’extraction des phosphates sur l’environnement dans le bassin minier

 

Ce paragraphe constitue un essai de diagnostic des impacts sur l’environnement engendrés par les activités extractives de l’industrie phosphatière dans la région du bassin minier. Les données tangibles qui y sont présentées permettront peut-être un sursaut dans la prise de conscience de la situation de la situation environnementale délicate dans laquelle se trouve le bassin minier.

 

D’autre part, il s’agit aussi de présenter et discuter certains mécanismes de préservation de l’environnement adoptés par la compagnie des phosphates de Gafsa dans une approche de responsabilité sociétale, comme ‘’ les sociétés de protection de l’environnement’’ ou encore la technique des digues à boues.

 

L’observation directe, les statistiques ainsi que sur l’analyse d’études et de rapports constituent les outils de réalisation de cette synthèse des impacts environnementaux de l’industrie des phosphates.

 

 

  • Zones d’installation des chantiers de la compagnie des phosphates de Gafsa :

 

La plupart des sites d’extraction et de traitement des phosphates sont situés à proximité des centres des villes du bassin minier telles que Redeyef, Moulares et Metlaoui surtout lors de l’époque de l’extraction souterraine. En effet, avec la découverte des phosphates, la compagnie des phosphates de Gafsa a opté pour une politique consistant à implanter les quartiers résidentiels à proximité des lieux d’extraction de phosphate afin de rendre l’accès des ouvriers et des cadres plus facile, et l’on assiste plus tard à l’amplification de ce phénomène à mesure que d’autres populations ont rejoint la compagnie en tant qu’ouvriers. Avec le développement des activités de la compagnie des phosphates de Gafsa, les sites d’extraction et de traitement sont implantés également au centre de villes minières telles que le cas de Redeyef et Moulares.

 

La proximité des quartiers résidentiels avec les sites d’extraction et de traitement des phosphates n’est pas sans poser problème. En effet, la population subit les dégâts de ces activités, qui varient entre la pollution atmosphérique et le risque existant dans chute de certaines mines souterraines comme elles traversent les quartiers résidentiels.

 

De plus, on note aussi que la localisation des sites de production de la compagnie des phosphates de Gafsa au centre des villes minières a contribué à leur dégradation urbaine et esthétique ainsi qu’à une altération paysagère, ce qui donne l’impression de ne jamais quitter l’usine.

 

En somme, le fait que les sites d’installation des sites de la compagnie des phosphates de Gafsa soient situés au centre des villes minières constitue une première manifestation de la dégradation environnementale dans cette région que l’on peut constater directement. De plus, la majorité des habitants du bassin minier exigent régulièrement le déplacement de ces sites hors les villes, mais cette revendication a toujours été écartée par la compagnie des phosphates de Gafsa.

 

Les sites de la compagnie des phosphates de Gafsa implantés au sein des villes minières sont des chantiers gigantesques. Des centaines de milliers de tonnes de phosphates y sont stockées sans mesures de sécurité suffisantes, les laveries y ont déversé leurs eaux usées pendant des années, les infrastructures de transport, chemins de fer, infrastructures pour les camions pèsent sur le quotidien des habitants. La proximité des quartiers résidentiels est réellement problématique : les gigantesques chantiers de la compagnie des phosphates de Gafsa sont un lieu de passage pour la population afin d’accéder au centre-ville, alors que les mesures de protection ou d’isolation de ces chantiers sont inexistantes. Cette situation a occasionné plusieurs accidents sur les chantiers, dont les victimes étaient généralement des enfants et des adolescents. On dénombre ainsi des collisions routières (deux jeunes filles sont mortes en 2005 à Redeyef) sur les anciens chemins de transport des phosphates qui traversaient la ville et des noyades : plusieurs jeunes ont péri dans les laveries, dont l’accès n’est pas sécurisé.

 

Compte tenu de la croissance démographique que connait le bassin minier d’une part, et d’autre part de l’ensemble de dégâts environnementaux engendrés par l’installation des chantiers de la compagnie de phosphates de Gafsa à proximité des quartiers résidentiels, la revendication d’un déménagement de l’ensemble des activités polluantes et dangereuses de cette compagnie hors les villes est une revendication des populations, qui nous semble légitime et réalisable compte tenu du pouvoir économique de cette dernière.

 

 

  • Pollution atmosphérique :

 

Les activités d’extraction des phosphates sont généralement accompagnées d’émissions de grandes quantités de poussières, un phénomène qui s’est aggravé avec le changement de la technique d’extraction souterraine à l’extraction à ciel ouvert, à travers le recours à la dynamite vers la fin des années 1990.

 

La poussière est constituée de particules fines rejetées dans l’air durant les processus de concassage des grandes particules et de séchage du phosphate lavé. Les zones les plus affectées par l’émission de poussières sont les zones urbaines, comme elles sont installées à proximité des anciennes zones d’extraction des phosphates ainsi que des zones de stockage et de séchage.

 

Les conséquences de l’émission des poussières sur la santé se manifestent essentiellement par la propagation de phénomènes de difficultés respiratoires ainsi que par l’émergence de maladies de peau suite à l’inhalation et l’absorption par voie cutanée de ces poussières.

 

Une étude réalisée par l’association ‘’SOS Mdhilla’’ sur la qualité de l’air dans la région de Mdhilla a montré que la présence de la poussière dans l’air a atteint 360 microgrammes par m³ 27 d’air ce qui est supérieur de 30% au taux national estimé à 260 microgrammes par m³ d’air.

 

Il est à noter que la situation de pollution atmosphérique à Mdhilla est généralement similaire aux autres villes minières à l’exception de la ville de Metlaoui où le processus d’extraction et du traitement des phosphates est le plus important.

 

La question de la pollution atmosphérique au bassin minier n’est pas uniquement liée à l’extraction des phosphates mais elle s’étend aux industries de traitement des phosphates, avec notamment le Groupe Chimique Tunisien installé à Mdhilla depuis 1985, et dont la mission principale est de fabriquer certains produits à base de phosphates, tels que l’Acide phosphorique et le Triphosphate. Lors du traitement des phosphates par le groupe chimique de Mdhilla, certains gaz polluants, notamment l’ammoniac est émis par les cheminées de l’usine et les effets sur la santé humaine sont très graves et qui se manifestent comme suit :

 

  • Inhalation : très toxique, peut causer la mort. Peut causer une grave irritation du nez et de la gorge. Peut causer une accumulation potentiellement mortelle de liquide dans les poumons (œdème pulmonaire). Les symptômes peuvent comprendre la toux, une dyspnée, des difficultés respiratoires et une oppression à la poitrine. Les symptômes peuvent se manifester des heures après l'exposition et sont aggravés par l'effort physique. Une exposition sévère à court terme peut causer des répercussions graves à long terme.

  • Contact avec la peau : Corrosif. Le gaz irrite ou brûle la peau. Peut causer des cicatrices permanentes. Le contact direct avec le gaz liquéfié peut refroidir ou geler la peau (gelures). Les symptômes de gelures plus sérieuses comprennent une sensation de brûlure et une raideur. La peau peut prendre une coloration blanc ciré ou jaune. Une vésication, la mort de tissus et une infection peuvent se manifester dans les cas graves.

  • Contact avec les yeux : Corrosif. Le gaz irrite ou brûle les yeux. Des dommages permanents, y compris la cécité, pourraient en résulter. Le contact direct avec le gaz liquéfié peut geler l'œil. Des dommages oculaires permanents ou la cécité peuvent en résulter.

  • Effets d'une exposition de longue durée (chronique) : Peut affecter le système respiratoire. Peut irriter et enflammer les voies respiratoires.28

 

Ces émissions ont fait l’objet de plusieurs mouvements de protestation de la population locale demandant à ce que le groupe chimique opte pour des mesures environnementales permettant de minimiser le degré de pollution de ses activités.

 

Il importe aussi de rappeler que pendant l’année 2016, plus exactement le 18 Mai, le Groupe Chimique Tunisien de Mdhilla a connu un très grave accident de travail : 17 ouvriers ont été sévèrement brûlés suite à une fuite d’acide sulfurique, au moment où ils étaient en train de la réparer. 29

 

Malgré une situation environnementale déjà dégradée sur la région du bassin minier et notamment au sein de la ville de Mdhilla, le gouvernement a engagé un processus de transfert des activités de la Société Tunisienne d’Acide Phosphorique et d’Engrais (SIAPE) de la ville de Sfax vers Mdhilla à l’horizon de 2018.30

 

Cette décision aura certainement un impact considérable sur la pollution atmosphérique de la région de Mdhilla avec pour conséquence une dégradation accrue des conditions de vie.

 

 

  • Bruit et vibrations :

 

Le processus d’extraction et de traitement des phosphates est assuré par l’utilisation de lourds engins, ce qui provoque de la pollution sonore, d’autant plus que les zones d’extraction et de traitement sont situées à proximité des quartiers résidentiels. De plus, on note que le régime de fonctionnement de la Compagnie des phosphates de Gafsa est basé sur le système de travail en rotation des 3*8 heures, ce qui entraine une pollution sonore continue, 24 heures sur 24.

 

En outre, l’extraction des phosphates à ciel ouvert est assurée principalement par la technique d’abattage par explosion, ce qui représente une source additionnelle d’amplification de la pollution par le bruit mais qui affecte aussi la stabilité des infrastructures, des bâtiments et des maisons, de sorte que des fissures sont apparues au sein de toutes les maisons des villes du bassin minier. En effet, durant l’année 2016, un mouvement de protestation a émergé au sein de la population de la ville de Redeyef sur la question de l’abattage par explosion, fustigeant l’exagération des quantités de dynamite utilisées par la compagnie des phosphates de Gafsa.

 

En outre, le recours à la technique d’abattage par explosion a été un facteur déterminant dans l’apparition de nouveaux types d’accidents inconnus auparavant dans la région. A titre d’exemple, en 2005, on a assisté dans la ville de Redeyef à l’effondrement d’une partie de la mine souterraine Z-6 qui traverse pratiquement toute la ville ce qui a engendré la chute de quelques maisons situées aux alentours de cette mine. Les pouvoirs publics ont obligé ces familles à déménager vers d’autres zones sans que la Compagnie des Phosphates de Gafsa ne les indemnise décemment malgré sa responsabilité directe dans ces accidents.

 

De plus, on note que le recours à la technique d’abattage par explosion a engendré des changements au niveau de la géographie de la région et notamment les paysages montagneux : les montagnes commencent à disparaitre suite à l’intensification des activités extractives des phosphates. De plus, la technique de l’abattage par explosion a provoqué de gigantesques fissures en profondeur dans les montagnes, qui deviennent avec le temps des lieux de stockage de quantités d’eau importantes, issues des précipitations. Ce phénomène a été à l’origine des fameuses inondations qu’a connu la ville de Redeyef, le 13 septembre 2009, à la suite de pluies battantes qui avaient provoqué l’explosion des réserves en eau existantes au sein des fissures des montagnes environnantes. Le bilan à l’époque fut de 21 morts, auxquels s’ajoute la destruction totale de l’infrastructure de la ville, ainsi que des centaines de familles sans abri.

 

Malgré le désastre engendré par ces inondations, la compagnie des Phosphates de Gafsa n’a mis en place aucune démarche pour minimiser, indemniser ou compenser les dégâts engendrés ; elle n’a pas reconnu sa responsabilité dans cet accident.

 

 

  • Les phosphates : Une industrie gourmande en eau

 

Il est urgent de s’intéresser à la problématique des ressources en eau dans la région du bassin minier tant cette ressource est importante pour la survie des populations locales, la durabilité de l’activité agricole, et le développement de la région de façon générale. En effet, le climat semi-aride qui caractérise la région du bassin minier rend la discussion sur les ressources en eau déterminante, sachant que les possibilités de renouvellement de la nappe souterraine sont très faibles.

 

D’autre part, le diagnostic de la situation générale des ressources naturelles en eau dans la région du bassin minier ne peut pas s’effectuer sans prendre en compte le fonctionnement de la compagnie des phosphates de Gafsa, qui demeure le principal consommateur de cette ressource dans le processus d’extraction et de traitement des phosphates.

 

Généralement, le recours de la Compagnie des phosphates de Gafsa à l’exploitation massive de ressources en eau s’explique par le changement de technique d’extraction et de traitement des phosphates exportés. En effet, de l’exportation de phosphates bruts (après les opérations de séchage naturel), on est passé à l’exportation de phosphates lavés et traités, à la fin des années 1970, afin d’appuyer la compétitivité tunisienne de l’industrie des phosphates à l’échelle internationale.

 

Le processus de traitement des phosphates consiste à éliminer la gangue stérile pour accroitre la teneur en pentoxyde de phosphore. Le phosphate extrait est lavé avec des floculant, puis trié selon la taille des particules : en dessous de 80µm et au-dessus de 2mm, les particules sont éliminées. Les plus gros éléments sont stockés dans les terrils, et les plus fins se retrouvent dans les boues de lavage.31

 

La consommation générale de la compagnie des phosphates de Gafsa en 2008 est estimée à 18.5 millions m³ d’eau par an, ce qui équivaut à une consommation de 580 litres par seconde en moyenne.32

 

La quantité consommée par la compagnie des phosphates de Gafsa en 2008 est équivalente au double de la quantité d’eau potable consommée par tout le gouvernorat de Gafsa qui est estimée à 8.6 millions de m³33. Reste à estimer les quantités d’eau consommées par la compagnie des phosphates de Gafsa depuis la mise en place de la technique du lavage des phosphates à la fin des années 1970 pour mieux réaliser l’impact des activités de cette compagnie sur l’exploitation des réserves en eau.

 

Le traitement et le lavage d’une tonne de phosphate demande 5 tonnes d’eau dont 1.2 tonnes34 d’eau sont perdues et rejetées dans la nature sous forme de boues contenant des grains fins d’argile dont il faut se débarrasser, ce qui constitue un grave problème de gaspillage d’eau ainsi qu’une dégradation environnementale certaine due aux boues rejetées.

 

Il est important d’aborder le sujet des ressources en eau dans la réflexion autour de l’avenir de la région du bassin minier, notamment en ce qui concerne la survie humaine.

 

Les approches des pouvoirs publics qui accordent toute leur attention à une exploitation rationnelle des phosphates afin de maintenir la croissance économique excluent ce faisant la dimension environnementale, notamment la question des quantités d’eau exploitées par la compagnie qui risquent de limiter les perspectives d’avenir de la région d’ici quelques décennies.

 

Pourtant, la problématique des quantités d’eau faramineuses pompées par la CPG et ses impacts sur l’avenir de la région ne semble pas faire l’objet de beaucoup de discussions et débats ce qui rend urgent la mise en place des outils permettant la vulgarisation et la simplification de cette question afin de limiter les effets de cette exploitation intensive.

 

Deux dimensions principales mériteraient plus d’attention : d’une part, l’estimation du coût de l’exploitation excessive des eaux par la compagnie des phosphates de Gafsa dans une région ou le stress hydrique est une problématique très urgente. D’autre part, il est question de repenser le modèle extractif mis en place par la compagnie des phosphates de Gafsa et en particulier les possibilités d’une survie humaine dans le bassin minier en présence de risques réels d’épuisement des ressources en eau.

 

 

  • Problématique des boues de lavage :

 

Le traitement des phosphates par la technique du lavage engendre la production d’énormes quantités de déchets sous la forme de boues qui seront rejetées en pleine nature dans les régions du bassin minier. En termes quantitatifs, dans le cas d’oued el Maleh (Metlaoui), les quantités des boues rejetées en pleine nature sont passées de 438531 tonnes en 1979, 774 777 tonnes en 1990 et à 753 930 tonnes en 2000. En somme, la quantité globale de boues rejetées dans oued el Maleh entre 1979 et 2000 est estimée à 14 121 34735 tonnes, ce qui traduit une certaine mauvaise gestion des ressources en eau de la part de la Compagnie des phosphates de Gafsa, ainsi que sa responsabilité dans la détérioration accrue de l’environnement.

 

Compte tenu du grand manque en termes de données quantitatives qui se rapportent au sujet des boues rejetées, nous avons dû nous limiter à la présentation du cas d’oued el Maleh, ce qui permet quand même de donner un ordre d’idée. La quantité totale de boues rejetées sur l’ensemble des zones du bassin minier est estimée à 12 millions de m³ chaque année.36

 

De plus, on note que durant le processus de lavage des phosphates destiné à séparer le phosphate des boues, certains produits chimiques sont utilisés, par exemple le Sylfat-FA1, AERO+727 Promoteur, Super Floculant-A, V-5181, VPF-210418 et le Flotignan.37 Il importe de mentionner que la majorité de ces produits utilisés dans le processus de lavage ont un impact dangereux sur l’être humain et le plus désastreux demeure le Super Floculant.

 

Ces boues étaient rejetées en pleine nature durant la période allant de 1979 à 2006. Le rejet de ces boues polluantes en pleine nature a engendré des dégâts environnementaux assez sérieux sur l’écosystème de la région, qui s’est manifesté à travers le changement de la nature du sol, qui est devenu de plus en plus perméable, la contamination de la qualité de l’eau souterraine ainsi qu’un impact direct sur la végétation existante et dont on peut citer certaines espèces très sensibles en voie de disparition. 38

 

Enfin, les dégâts environnementaux engendrés par le rejet arbitraire des boues de phosphates ne se sont pas limités à la région du bassin minier mais se sont étendues aux frontières du gouvernorat de Tozeur, précisément la zone de Gouifla : les circuits d’évacuation ont acheminé les boues rejetées jusqu’au gouvernorat de Tozeur.

 

 

  • Les Digues à boues

 

La technique des digues à boues consiste à mettre en place des grands bassins de récupération des boues rejetées après l’opération de lavage des phosphates. Selon la Compagnie des phosphates de Gafsa, d’une part cette technique permet une meilleure exploitation des ressources en eau de façon à ce que ces boues soient réutilisées après les opérations de traitement. D’autre part, cette technique vise à minimiser les dégâts engendrés par le rejet de boues en pleine nature. L’étude de projet de la mise en place des digues à boues dans les différentes régions du bassin minier a commencé en 2001 et la réalisation des travaux en 2004. Une observation réalisée en 2009 permet de détailler la situation de ces projets dans les quatre régions du bassin minier.39

 

  • Région de Metlaoui : mise en place d’une digue à boues sur une surface de 600 hectares afin de rassembler et traiter les boues rejetées qui sont estimées à 4 millions de m³ chaque année. L’exploitation de cette digue à boues débuté en 2006 mais le processus de réutilisation des boues n’a pas eu lieu car les travaux de canalisation n’ont pas été achevés. Selon les estimations de la compagnie des phosphates de Gafsa (CPG), 40% des eaux boueuses peuvent être réutilisées, ce qui est l’équivalent de 1.6 millions de m³ chaque année.

  • Région de Mdhilla : Deux digues à boues sont mises en place. La première a été installée en septembre 2005 sur une surface de 38 hectares avec une capacité de 1.8 million de m³ de boues. Reste à mentionner que cette digue à boues a permis la réutilisation et le recyclage de 66 litres par secondes c'est-à-dire à peu près 50% des boues stockées. La durée de vie de cette digue à boues est de 4 ans et demi ce qui a invité la compagnie des phosphates de Gafsa à la mise en place d’une deuxième digue à boues.

 

Celle-ci a été mise en place en novembre 2009 sur une surface de 60 hectares et avec une capacité de 1.850 million de m³ et pour une durée de vie de 8 ans.

 

  • Région de Moulares : mise en place d’une digue à boues en décembre 2009 sur une surface de 43 hectares et avec une capacité de 1.650 million de m³ de boues et dont les estimations de recyclage et de réutilisation des eaux boueuses sont de 660000 m³ par an.

  • Région de Redeyef : Les travaux de la mise en place de la digue à boues ont commencé en septembre 2007 sur une surface de 47 hectares et avec une capacité de stockage de 1.2 million m³. La phase d’expérimentation de cette digue a commencé en août 2009 et n’a duré qu’un mois à cause des inondations qu’a connues la ville et qui ont contribué à une destruction presque totale de la digue. L’exploitation de la digue a repris en 2010 suite aux travaux de réparation.

 

Généralement, le recours de la compagnie des phosphates de Gafsa à la technique des digues à boues comme un moyen de préservation de l’environnement et de rationalisation de ses consommations en ressources naturelles en eau, ne peut qu’être reconnu mais ceci n’empêche pas certaines critiques vis-à-vis cette technique. En effet, la contamination des nappes souterraines d’eau, l’efficacité et la faisabilité du recyclage et de la réutilisation des eaux boueuses et enfin l’effet négatif sur la situation des terres et du foncier sont sources d’insatisfactions.

 

Ainsi, les digues à boues sont généralement des lieux gigantesques de stockage des boues polluantes contenant des produits chimiques assez dangereux tels que le floculant, ce qui fait que les possibilités de contamination de la nappe souterraine peuvent poser de sérieux problèmes, et ce qui rend des analyses approfondies nécessaires. De plus, pour le cas de Redeyef, l’installation de la digue à boues s’est réalisée à une distance de quelques centaines de mètres seulement du sondage de la société nationale d’exploitation et de distribution des Eaux (SONEDE) destiné à fournir l’eau potable à la population locale. Ce problème de proximité interroge quant aux possibilités de contamination de l’approvisionnement en eau potable de la ville, une préoccupation majeure qui touche directement à la santé de la population.

 

Quant au sujet des possibilités réelles de réaliser les taux de transformation déclarés par la CPG en matière de recyclage des eaux boueuses, on ne dispose pas de données concrètes de la part de la compagnie qui permettent de vérifier les hypothèses. Cependant, on note que le volume général d’exploitation des ressources en eau, notamment dans les régions de Redeyef, Moulares et Metlaoui, n’a pas baissé depuis des années, suggérant que les objectifs de recyclage et de réutilisation des eaux boueuses sont encore loin d’être atteints.

 

Enfin, en ce qui concerne la détérioration de la situation des terres et du foncier, la mise en place des digues à boues occupe des centaines d’hectares de terres à potentiel agricole, ce qui menace leur fertilité car les boues dégagées contiennent des produits chimiques qui peuvent influencer négativement la situation de ces terres. De plus, la durée de vie d’une digue à boues est limitée, telle celle de Mdhilla, dont la durée de vie n’a pas dépassé 4 ans et demi, ce qui nécessite la mise à disposition de surfaces supplémentaires afin d’assurer la mise en place des futures digues. Cela constitue un grand gaspillage des terres à potentiels agricoles.

 

 

  • Impacts sur le secteur agricole : Tabeddit comme exemple

 

Le choix de présenter Tabeddit comme exemple de dégradation du secteur agricole suite aux activités de la compagnie des phosphates de Gafsa tient à la proximité de ce village avec la ville de Redeyef (15 Kilomètres) ainsi qu’aux dégâts constatés, qui sont visibles et concrets.

 

Au vu du grand manque de documentation sur les dégâts environnementaux engendrés par la compagnie des phosphates de Gafsa et touchant l’activité agricole à Tabeddit, nous nous sommes appuyés, dans la rédaction de ce paragraphe, sur un entretien réalisé avec un agriculteur de cette région, à la fois ancien retraité de la compagnie des phosphates de Gafsa, Monsieur Abdelaziz Bouyahya.

 

Cet entretien consiste essentiellement en un diagnostic de la dégradation de la situation agricole de la région de Tabeddit, dont la compagnie des phosphates de Gafsa est le principal responsable.

 

Historiquement et jusqu’à la fin des années 1990, la région de Tabeddit était considérée comme le principal producteur agricole, approvisionnant essentiellement les villes de Redeyef et Moulares. La production agricole de ce village varie entre productions maraîchères et fruitières et rend disponible des produits agricoles à prix acceptables.

 

Vers le début des années 2000, on assiste à une dégradation de la production agricole de la région de Tabeddit, qui connaît un recul du niveau de production en termes de quantité et de qualité. L’observation directe permet de vérifier ce constat : la situation de la majorité des exploitations agricoles de Tabeddit est catastrophique, la plupart des plantations sont mortes et le sol se trouve dans un état de sécheresse dramatique.

 

Selon notre interviewé, la dégradation du secteur agricole dans la région de Tabeddit est due aux activités extractives de la compagnie des phosphates de Gafsa et dont les facteurs déterminants sont au nombre de trois : les boues rejetées, l’exploitation intensive de l’eau et la proximité des zones d’extraction des phosphates.

 

En ce qui concerne les boues rejetées, notre interviewé a confirmé le fait qu’avant la mise en place des digues à boues, elles étaient rejetées sans traitement par la compagnie des phosphates de Gafsa et que les oueds traversant le village de Tabeddit comptaient parmi les voies d’évacuation. Ces boues rejetées ont influencé négativement l’activité agricole compte tenu des produits polluants qu’elles contenaient, ce qui a surtout nuit à la qualité du sol mais qui a aussi contaminé la nappe d’eau souterraine et qui a par conséquent dégradé la production agricole.

 

Le deuxième facteur déterminant est la pénurie accrue des ressources en eau, confirme notre interviewé. En effet, la pénurie d’eau s’explique en grande partie par le recours à l’exploitation intensive des eaux de la part de la Compagnie des phosphates de Gafsa, ce qui a limité l’accès des agriculteurs à cette ressource. Notre interviewé met notamment l’accent sur la difficulté d’accès à l’eau. Il nous confirme que durant les années 1970 et 1980, il suffisait de creuser des puits à une profondeur d’environ 10 mètres pour accéder à l’eau alors qu’actuellement cette opération nécessite la mise en place de sondages profonds. Cet exemple illustre bien la dégradation quantitative de la nappe d’eau souterraine, dont la CPG est la principale responsable. D’autre part, notre interviewé témoigne que même la qualité de l’eau potable et d’irrigation s’est dégradée suite à la contamination de la nappe d’eau souterraine. A ce propos, il déclare que parmi les revendications principales de la population de Tabeddit figure la nécessité d’entamer des analyses scientifiques sur la qualité de l’eau existante, afin de démontrer la responsabilité de la CPG dans la dégradation de la qualité d’eau et par conséquent dans le déclin de l’activité agricole.

 

Enfin, on note qu’une carrière d’extraction de phosphates est installée à 3 kilomètres à peine du village de Tabeddit. L’extraction des phosphates à partir de cette carrière est assurée par la technique d’abattage par explosion ce qui engendre l’émission d’énormes quantités de poussières qui ont impacté négativement les exploitations agricoles à proximité. D’autre part, la technique de l’explosion contribue à la dégradation accrue de la qualité du sol et par conséquent à la détérioration de la production agricole.

 

Reste à mentionner qu’un cycle de négociations a eu lieu entre la population de Tabeddit et la CPG, qui visait à rapprocher les points de vue et établir une charte environnementale afin que cette compagnie s’engage à minimiser les dégâts environnementaux engendrés par ses activités. Ces négociations n’ont pas abouti vu que cette dernière nie toute responsabilité en matière de dégradation environnementale dans la région.

 

 

  • Problématique d’accès à l’eau potable

 

Le phénomène de coupures de l’approvisionnement en eau potable dans la région du bassin minier est apparu de façon importante vers la fin des années 2000 pour devenir une caractéristique spécifique de la majorité des villes du bassin minier ces cinq dernières années.

 

On note que la région du bassin minier se classe en 2016 en haut du classement en ce qui concerne le nombre de coupures d’eau notamment dans la ville de Redeyef. Durant le mois d’Avril 2017, on a recensé 20 coupures d’eau sur le gouvernorat de Gafsa dont la majorité a eu lieu dans les villes du bassin minier.40

 

La problématique des coupures d’eau potable a suscité une série de protestations sociales, parmi elles la déclaration de grève générale de la population de la ville de Redeyef le 17 Mars 2017. La grève avait été annulée suite à un accord avec les pouvoirs publics pour la résolution de ce problème. Mais les promesses n’ont pas été tenues à ce jour.

 

Le phénomène des coupures d’eau potable dans la région du bassin minier s’explique par trois facteurs essentiels à savoir les problèmes techniques du réseau de distribution des eaux de la Société Nationale d’Exploitation et de Distribution des Eaux (SONEDE), la consommation anarchique de l’eau de la part des populations et enfin l’exploitation excessive de l’eau de la part de la CPG.

 

Les problèmes techniques du réseau de distribution de la SONEDE sont généralement dus au manque de travaux de maintenance du réseau de façon à ce que les anciennes conduites répondent à l’augmentation de la demande locale en eau. La pression de la demande et le fait que le réseau n’a pas accompagné son évolution ont entraîné de nombreuses pannes techniques au niveau du réseau de distribution d’eau, notamment des fuites d’eau, qui sont la cause principale de l’amplification du phénomène des coupures d’eau.

 

De plus, les défaillances de la SONEDE dans la fourniture d’eau potable dans le bassin minier révèlent illustre le désengagement des pouvoirs publics en termes d’investissement pour l’amélioration de l’infrastructure de la région. Ceci se manifeste d’une part par le grand manque de ressources humaines et logistiques pour que la maintenance et le développement du réseau de distribution soit capable de satisfaire l’augmentation de la demande locale en eau. D’autre part, on souligne les besoins de la Compagnie des phosphates de Gafsa (CPG) sont prioritaires, au détriment de ceux de la population. Ceci s’explique par le fait que dans la ville de Redeyef, 3/4 des sondages profonds sont réservés à la CPG, ce qui a contribué à accentuer le problème de coupures d’eau potable pour la population.

 

Le phénomène de consommation anarchique de l’eau se traduit par le recours de certaines familles disposant des petites exploitations agricoles aux branchements clandestins auprès du réseau de la SONEDE afin de bénéficier gratuitement de l’eau qui servira à l’irrigation de leurs cultures. Cette situation engendre un stress en matière de disponibilité de l’eau, caractérisé par l’affaiblissement du débit de l’eau distribuée et entraînant des coupures d’eau fréquentes.

 

Enfin, l’exploitation intensive des ressources naturelles en eau de la part de la Compagnie des Phosphates de Gafsa demeure à notre avis le facteur d’explication le plus important du phénomène des coupures d’eau potable, au vu des quantités énormes d’eau consommées par la Compagnie des Phosphates de Gafsa, que nous avons présentées ci-dessus. C’est pourquoi il nous semble important de lancer une discussion sur le futur de cette région qui souffre déjà d’un vrai problème de stress hydrique. D’autre part, la réflexion devrait affronter la question de l’estimation réelle du coût de la dégradation de la nature dont la compagnie des phosphates de Gafsa est le principal consommateur – pollueur.

 

Reste à mentionner que face à une situation où les coupures d’eau sont récurrentes depuis des années, sont apparues de nouvelles formes d’alternatives citoyennes dont la plus marquante est l’émergence d’un nouveau commerce populaire de l’eau. Cette alternative consiste à apporter des solutions concrètes au problème de coupures d’eau à travers la création d’un type de commerce qui consiste à fournir l’eau à la population soit en allant la chercher dans les sources d’eau naturelles des montagnes situées à proximité, soit de traiter l’eau distribuée par la SONEDE en éliminant certains éléments notamment le Calcaire (CaCO3), afin d’améliorer sa qualité.

 

 

  • Les sociétés de l’environnement et de la plantation

 

Le dispositif des Sociétés de l’Environnement et de la Plantation a été créé en plein mouvement social du bassin minier en 2008 par l’ancien régime politique. L’idée de créer ces sociétés n’était qu’une tentative du pouvoir politique de maîtriser la situation d’agitation socioéconomique et politique à travers la création de postes d’emploi précaires pour les jeunes longuement marginalisés.

 

Plusieurs critiques ont été adressées à la formule des Sociétés de Protection de l’Environnement au prétexte qu’elles ne seraient finalement qu’un moyen légitimant davantage la corruption car leurs fonctions et leurs attributions ne sont toujours pas claires. Ainsi, par exemple, la nomination de ces sociétés sous l’onglet de la protection de l’environnement est un sujet de litige comme ces dernières n’ont exercé pratiquement aucune activité visant à la protection de l’environnement depuis janvier 2011.

 

Cependant, le nombre d’employés au sein de ces sociétés a augmenté de 2800 en 2008 à 5439 en 2015 et avec une masse salariale annuelle estimée à 42 millions de dinars assumée en totalité par la Compagnie des Phosphates de Gafsa.41

 

Avec des ressources humaines et logistiques aussi importantes, les Sociétés de Protection de l’Environnement n’ont pas eu d’impact sur la situation environnementale tout au long des dernières années…

 

Elles permettent néanmoins à la Compagnie des Phosphates de Gafsa, leur principal bailleur de fonds, de mimer un engagement dans la protection de l’environnement et de se positionner sur le terrain de la responsabilité sociétale de l’entreprise. Cela lui permet en outre de s’abstenir de réviser ses activités extractives généralement désastreuses pour l’environnement. Là encore, la rentabilité et l’achat de la paix sociale passe avant les exigences environnementales…

 


 

Conclusion Générale

 

Discuter d’environnement dans un contexte socioéconomique difficile n’est pas toujours évident. Dans le cas de la région du bassin minier, où les revendications socioéconomiques gardent toujours leur caractère d’urgence, la dimension environnementale est encore considérée comme un sujet de luxe et non prioritaire.

 

Il nous semble nécessaire, après cet état des lieux de la situation environnementale du bassin minier, dégradée par l’activité phosphatière, de la vulgariser afin que la population locale prenne conscience de la gravité de cette situation, et de susciter le débat sur l’avenir de la région.

 

D’autre part, l’intérêt serait de discuter l’idée d’un modèle de développement alternatif qui dépasse le monopole des phosphates et qui puisse rendre possible une nouvelle approche sociétale d’un bassin minier sans phosphates et sans pollution.

 

La damnée des phosphates, dans une Tunisie postrévolutionnaire, s’étend et dépasse l’espace géographique du bassin minier.

 

En mars 2017, une décision gouvernementale a permis la réouverture de la mine des phosphates de Meknassi (délégation du gouvernorat de Sidi Bouzid) ainsi que l’installation d’une laverie. Cette décision a été considérée comme une démarche révolutionnaire qui permettrait l’amélioration des conditions socioéconomiques de la population de Sidi Bouzid.

 

Pourtant, le gouvernorat de Sidi Bouzid et notamment Meknassi sont des régions à vocation principalement agricole qui jouent un rôle majeur dans la production au niveau national.

 

C’est donc le même modèle de développement, désastreux pour l’environnement, ainsi que pour les populations, qui domine. Ce modèle ne prend pas en compte les possibilités d’investissement dans des secteurs plus viables à long terme. Les effets de l’installation de la mine de Meknassi seront catastrophiques, notamment pour le secteur agricole. La question environnementale est stratégique pour l’avenir de ces régions. Elle nécessite que davantage d’intérêt lui soit accordé, des efforts de vulgarisation et des mobilisations, afin d’opter pour de meilleures options plus durables.

 


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1 www.cpg.tn

2 Ibid,

3 Ibid.

4 Déclaration du PDG de la CPG en mars 2016 : http://www.realites.com.tn/2016/03/tunisie-phosphates-cinq-mille-millions-de-dinars-de-pertes/

5 www.cpg.com.tn

6 Abdeljelil Bedoui, «  l’emploi et le développement au gouvernorat de Gafsa : Réalités et perspectives », page 81, Visions ouvrières, 2009

7 Ibid page 82

8 http://www.alchourouk.com/169988/688/1/5

9 Page Face book de la STTPM

10 Ministère de Développement de l’investissement et de la Coopération Internationale, Gouvernorat de Gafsa en chiffres, page 109, 2015

11 Ibid., page 111

12 Ibid. page 113

13 Le cadre juridique tunisien de la propriété, de l’occupation des propriétés d’autrui et des procédures y applicables, Ministère de l’Equipement, de l’Aménagement de Territoire et du Développement « MEDD », page 8 et 9, Novembre 2014- Septembre 2015.

14 Ministère de Développement de l’investissement et de la Coopération Internationale, Gouvernorat de Gafsa en chiffres, page 114, 2015

15 Ibid, page 116

16 Ibid, page 118

17 Ibid, page 121

18 Ibid, page 124

19Abdeljelil Bedoui, « L’emploi et le développement au gouvernorat de Gafsa : Réalités et perspectives », page 86, Visions ouvrières, 2009

20 Bechir Laabidi, « Compagnie des phosphates de Gafsa : A quand s’arrête l’hémorragie ? », Nawaat.org, Janvier 2015

21 Ibid.

22 Houcine Rhili, «  Pour que le phosphate demeure une richesse nationale », page 3, 2014

23 Abdeljelil Bedoui, «  L’emploi et le développement au gouvernorat de Gafsa : Réalités et perspectives », page 86, Visions ouvrières, 2009

24 Ibid. page 87

25  Carole Vann, « Tunisie : la révolte à huis-clos du peuple des mines », Swissinfohttp://www.swissinfo.ch/fre/a_la_une/En_Tunisie_la_revolte_a_huis_clos_du_peuple_des_mines.html?siteSect=106&sid=9851233&cKey=1224233537000&ty=st, consulté en mars 2009.

26 http://www.businessnews.com.tn/tunisie-chute-libre-des-rasultats-de-la-compagnie-des-phosphates-de-gafsa,520,21572,1

27 http://directinfo.webmanagercenter.com/2016/11/16/tunisie-mdhilla-pollution-de-lair-par-la-poussiere-30-superieure-au-seuil-national/

28 http://www.cchst.com/oshanswers/chemicals/chem_profiles/ammonia.html

29 Hafawa Rabhi, « Mdhilla : 17 ouvriers brulés à l’acide sulfurique », www.nawaat.org, 19 Mai 2016

30 http://www.shemsfm.net/fr/actualites_tunisie-news_news-nationales/130267/transfert-des-activites-de-l-usine-siape-de-sfax-vers-mdhilla-en-2018-130267

31 Les gisements de phosphates de Gafsa, Tunisie, Françoise et Francis Auvary, Saga information 325- Mars 2013

32Abdeljelil Bedoui, « L’emploi et le développement au gouvernorat de Gafsa : Réalités et perspectives », page 82, Visions ouvrières, 2009

33Selon nos calculs : la moyenne de la quantité d’eau nécessaire par jour pour un individu est de 70 litres, par année est de 25.5 m³, le total pour la population du gouvernorat de Gafsa qui est de 337331 serait de 8.6 millions de m³.

34 Impacts des activités d’extraction de phosphate sur l’environnement dans la région du bassin minier, Association du bassin minier pour l’investissement et le développement de Moulares (ABMID), page 11, Février 2014.

35 Impacts des activités d’extraction de phosphate sur l’environnement dans la région du bassin minier, Association du bassin minier pour l’investissement et le développement de Moulares (ABMID), page 12, Février 2014.

36 Abdeljelil Bedoui, «  L’emploi et le développement au gouvernorat de Gafsa : Réalités et perspectives », page 83, Visions ouvrières, 2009

37 Abdeljelil Bedoui, «  L’emploi et le développement au gouvernorat de Gafsa : Réalités et perspectives », page 83, Visions ouvrières, 2009

38 Impacts des activités d’extraction de phosphate sur l’environnement dans la région du bassin minier, Association du bassin minier pour l’investissement et le développement de Moulares (ABMID), page 15, Février 2014.

39 Houcine Rhili, « Rapport de suivi de la réalisation des digues à boues dans la région du bassin minier », 2014

40 http://www.watchwater.tn/fr

41 http://www.alchourouk.com/169988/688/1/5



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